Dans ce film à l’humanité expurgée ont survécu deux
personnages féminins : une bourgeoise en kimono de soie qui accueille son
mari à la sortie de son énorme berline et qui tapote la tête de sa fillette
flûtiste dans son intérieur d’architecte et Yella, la dernière femme au
travail.
Pour Yella, son lien à son travail c’est d’abord un
chemisier rouge, en popeline, qu’elle entretient, repasse, chérit, son costume
d’humain. Rentré dans sa jupe, il lui donne une allure chic, sage et sexy. Elle
le sort de la ceinture dans l’intimité retrouvée de sa chambre d’hôtel
impersonnelle.
C’est aussi ses petits escarpins modestes qu’elle enfile,
enlève, qui l’empêchent juste ce qu’il faut de courir. Et puis un trench mou
couleur Derrick, qui résume l’Allemagne, les Ossies, le travail, les bureaux,
le passé.
De cette enveloppe textile, elle entre et sort, tour à tour
star américaine nue dans un lit défait, vouivre sortie des marais, marionnette
du libéralisme à l’efficacité tremblante.
Les déplacements hagards de Yella sont pourtant émaillés de
détails où se concentrent des restes d’humanité épargnés : les cheveux
sans soin de l’héroïne qui rompent l’illusion cinématographique et la font nous
ressembler, une scène de tendresse filiale près d’un container à ordures, une orange
pelée de main de maître flamand.
Yella est la dernière femme au travail. Tour à tour, on lui
propose de voler, de se prostituer, de simuler, de manipuler. Jamais ses
compétences professionnelles ne sont sollicitées. Elle est comptable.
Yella n’a pas de travail, elle en cherche, fait beaucoup
d’efforts, obéit en silence, ne commente pas les décisions des hommes, ne sait
pas vraiment si elle travaille, si elle est virée, embauchée.
Elle est l’employée parfaite, un fantôme, une morte. Figure
ultime du cauchemar d’une société qui nécessite un consentement absurde pour
tourner à vide.
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