jeudi 1 janvier 2015

Yella, film de Christian Petzold

Dans ce film à l’humanité expurgée ont survécu deux personnages féminins : une bourgeoise en kimono de soie qui accueille son mari à la sortie de son énorme berline et qui tapote la tête de sa fillette flûtiste dans son intérieur d’architecte et Yella, la dernière femme au travail.
Pour Yella, son lien à son travail c’est d’abord un chemisier rouge, en popeline, qu’elle entretient, repasse, chérit, son costume d’humain. Rentré dans sa jupe, il lui donne une allure chic, sage et sexy. Elle le sort de la ceinture dans l’intimité retrouvée de sa chambre d’hôtel impersonnelle.
C’est aussi ses petits escarpins modestes qu’elle enfile, enlève, qui l’empêchent juste ce qu’il faut de courir. Et puis un trench mou couleur Derrick, qui résume l’Allemagne, les Ossies, le travail, les bureaux, le passé.

De cette enveloppe textile, elle entre et sort, tour à tour star américaine nue dans un lit défait, vouivre sortie des marais, marionnette du libéralisme à l’efficacité tremblante.
Les déplacements hagards de Yella sont pourtant émaillés de détails où se concentrent des restes d’humanité épargnés : les cheveux sans soin de l’héroïne qui rompent l’illusion cinématographique et la font nous ressembler, une scène de tendresse filiale près d’un container à ordures, une orange pelée de main de maître flamand.
Yella est la dernière femme au travail. Tour à tour, on lui propose de voler, de se prostituer, de simuler, de manipuler. Jamais ses compétences professionnelles ne sont sollicitées. Elle est comptable.
Yella n’a pas de travail, elle en cherche, fait beaucoup d’efforts, obéit en silence, ne commente pas les décisions des hommes, ne sait pas vraiment si elle travaille, si elle est virée, embauchée.
Elle est l’employée parfaite, un fantôme, une morte. Figure ultime du cauchemar d’une société qui nécessite un consentement absurde pour tourner à vide. 

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